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L'oeil du Matt
15 février 2017

Cuba et le trafic de wifi

Rencontré l’année dernière, ce vendeur nous avait initiés au monde, illégal mais toléré par le gouvernement cubain, du « Paquete » (un pack informatique de 800 gigas qui compile les derniers films, séries, chansons et jeux vidéo étrangers... introuvables sur l’île). Tous les lundis, une version réactualisée du Paquete est disponible et Ignacio fait l’intermédiaire entre les fournisseurs et les acheteurs. Dans sa modeste boutique, une cliente passe en coup de vent pour récupérer sa clef USB, sur laquelle il a copié un épisode d’une série brésilienne. Un autre, éméché, s’installe sur le banc qui sert de salle d’attente et réclame qu’on lui fournisse les nouveaux hits de reggaetón. Un va-et-vient tranquille qui rappelle l’ambiance observée l’an passé. C’est sans compter les nouveaux spots de wifi qui se multiplient dans l’île. Le 1er juillet 2015, du réseau wifi payant était proposé pour la première fois dans certains espaces publics. Une petite révolution tournée vers l’extérieur dans un pays où moins de 5% des foyers ont accès à Internet et où voyager sans autorisation officielle pour des raisons touristiques n’est possible que depuis 2013. Dès le premier jour de fonctionnement, on a vu de nombreux Cubains payer 2 CUC l’heure de connexion, soit un dixième du salaire mensuel moyen (le CUC est l’une des deux monnaies cubaines, indexée sur le dollar américain), pour profiter de ces nouvelles fenêtres sur le monde. Il y en avait 35 au lancement. Selon les données du monopole national des télécommunications, Etecsa, il y en a désormais 233. Et l’on compte environ 250 000 utilisateurs quotidiens d’Internet (sur 11 millions d’habitants). Ces derniers discutent avec leurs proches à l’étranger, utilisent les réseaux sociaux… Et se familiarisent avec le partage de documents, notamment du fameux Paquete. Il suffit qu’une personne l’achète et divulgue gratuitement en ligne son contenu pour menacer le commerce d’Ignacio et de nombreux autres vendeurs. Ignacio assure pourtant que « ces zones wifi n’ont pas affecté [son] commerce car la connexion n’est pas assez puissante pour télécharger en ligne ». En effet, les zones wifi sont prévues pour 100 personnes maximum avec une vitesse d’1 mégabit par seconde mais aux endroits les plus fréquentés, on compte souvent le double d’internautes. « Et puis, les gens n’achètent pas assez de minutes de connexion », explique encore Ignacio. « Mais il y a du gros commerce qui se fait là-bas. Plus gros que le Paquete. » « Là-bas », c’est un petit parc urbain avec une vingtaine de bancs à quelques blocs de sa boutique où, chaque soir, près de 200 personnes se rassemblent. Au milieu des têtes baissées, les yeux rivés sur les smartphones, certains guettent. L’air de rien, tranquillement accoudés contre un arbre ou assis sur un banc pour éviter d’être repérés par les officiers de police, ils interpellent les clients potentiels : « Wifi ! Wifi ! » Avec le développement d’Internet, des métiers ont éclos à Cuba. Ces personnes sont les nouveaux trafiquants de cartes de la capitale. Lily porte une casquette américaine à strass sur la tête et une tirelire en bois sous le bras. « C’est pour mes économies », lance-t-elle avec un clin d’œil. Il y a quelques années, la trentenaire a quitté sa province située dans l’est de l’île pour venir travailler dans la capitale. Elle n’a jamais été salariée de l’Etat, estimant la paye trop basse, et a d’abord vécu du business des commissions : une boutique souhaitait vendre des habits, elle trouvait l’acheteur et touchait un pourcentage sur la vente du produit. Cette activité lui rapportait 5 CUC par jour (4,7 euros). Aujourd’hui, sa nouvelle occupation lui permet de gagner jusqu’à 20 CUC (18,8 euros, environ l’équivalent d’un mois de salaire moyen en une journée).

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