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L'oeil du Matt
4 avril 2017

A Paris, la fashion week propose une nouvelle simplicité

La mode est un univers où, à chaque proposition esthétique, vient lui répondre son contraire. Ainsi, si les défilés ont connu un régime de rigueur et d’ascèse ultrachic, notamment grâce à l’influence de Phoebe Philo chez Céline, irradiant du grand luxe aux enseignes plus abordables, est apparue il y a quelques années une sorte d’anti-mode, une « reality fashion » qui illustrerait en vêtements la noirceur et l’inquiétude du monde. Il était donc logique que certains créateurs s’autorisent une troisième voie. Ces derniers jours, la fashion week parisienne a ainsi défini les règles d’un postminimalisme, sous des formes très différentes et tout en nuances : une nouvelle simplicité qui, comme quelqu’un après un régime strict, réintroduirait dans son menu quelques aliments plus riches et savoureux, s’autorisant une générosité nouvelle. Sans pourtant retourner à un maximalisme rutilant, même si la mode de l’hiver prochain est remplie de clins d’œil aux années 1980. C’est plutôt dans la décennie 1990 que nous plonge Stella McCartney. Apres plusieurs saisons à tâtonner dans de la mode expérimentale par toujours seyante, elle revient à l’essentiel de son talent : des silhouettes cool et sexy. Les filles passent en tailleurs-pantalons aux ampleurs mesurées, en robes et pulls de mailles à bustes sculptés façon fifties. Les motifs chevaux (sur des robes en soie ou des sweaters) animent cette ligne gracieuse et rappellent sa patte très british, comme les manteaux de chasse à la « Balmoral » aux volumes de cocon vert sous-bois – même si on imagine mal la créatrice, militante végétarienne, dans une chasse à courre. Les robes en organza plissé et les dentelles rebrodées jouent sur les superpositions pour créer un effet opulent et moderne. Avec cette très bonne collection, sa mode a regagné en joie de vivre et redonne le sourire. Cette saison, Chitose Abe, de Sacai, est particulièrement inventive et parvient à se renouveler avec une collection fraîche et féminine. Vrais-faux pyjamas-joggings à fleurs dézippés, manteaux-capes à carreaux sur des jupes assorties dont les fentes révèlent des mousselines noires aguicheuses, grosse parka bordée de fourrure dézippée entre les omoplates, superpositions de soies, cuirs et denim, bottines compensées graphiques en cuir noir (une collaboration avec Pierre Hardy)… La collection mêle esprit sport et romantisme urbain dans un joli tourbillon. Ailleurs ce serait indigeste mais la « main » de la Japonaise fait des merveilles. Nadège Vanhee-Cybulski fait exploser les couleurs chez Hermès. Dans ce temple du luxe sage et sobre, la créatrice avance pas à pas vers une mode plus lumineuse et dynamique. Ses jupes en cuir, manteaux extralongs et pulls seconde peau jaune citron pressé, ses longues robes de soie à imprimés foulard sur fond « tomate » ou vert « pomme anglaise », ses vestes en mouton retourné quadrillées de bandes de dégradé bleu et/ou améthyste se portent avec des bottes montagnardes lacées qui montent jusqu’au genou. Face à ces effets neufs, les silhouettes plus classiques et intemporelles (manteaux camel ou marine, silhouettes de cuir noir) sont encore plus efficaces. C’est un esprit romantique nourri à la lumière du Nord que la Belge Veronique Branquinho propose un mélange constant de rigueur et d’hypersensibilité. Cette saison, ce mariage gagne en autorité charmeuse. Ses pièces tailleur (manteaux capes, vestes, longues jupes) se portent avec des sandales à strass, des blouses à manches clochetons ou des hauts transparents habillés de cristaux, comme la tenue d’une danseuse qui rentrerait chez elle drapée dans un manteau d’homme. Et c’est la lumière qui domine cette collection hors du temps et pleine d’humanité. Cela fait trente ans qu’avec A.P.C., Jean Touitou œuvre en marge de la « fashion ». Avec ses pièces basiques, il cultive un look neutre adoré des intellos et des allergiques à la tendance. Organiser un vrai défilé, dans son siège parisien de la rue Madame, aurait pu paraître contre-intuitif. Il est en tout cas précieux de voir cette mode bougerin vivo. Les combinaisons pantalons en denim se portent le haut retourné sur les reins, avec une chemise de chambray, les micro-jupes en jean retiennent de grandes chemises blanches, les trenchs sont joliment ceinturés. La rigueur APC prend de la chair, se réchauffe au contact de la vie courante à laquelle elle est adaptée. Chez Alexander McQueen, Sarah Burton a trouvé comment jouer parfaitement de la théâtralité propre à la maison britannique. Elle s’inspire des anciens paysages et rites païens de la Cornouailles pour imaginer une collection puissante. Ses robes de mailles et cuir suturées de rouges ou rebrodées de motifs en fils de laine et rubans qui flottent au vent habillent des filles à la fois prêtresses et guerrières, gracieuses et mystérieuses. Les longs manteaux et tailleurs aux épaules autoritaires contrastent avec les robes de fées sauvages en mousseline smockée et plissée. Illuminées de cristaux et de mosaïques d’argent, ourlées de plumes de marabout mousseuses comme une écume, les robes du final éblouissent. Sarah Burton parvient, grâce à une énergie visuelle et émotionnelle rare, à donner vie à ses créations. Ce lien humain et cette générosité paraissent d’autant plus nécessaires aujourd’hui.

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